Bourgueil, fief de Jean Carmet
Avant de chevaucher nos bicyclettes, nous explorons la petite ville de Bourgueil, où le comédien Jean Carmet passa une partie de son enfance.
Chantée par Ronsard, l’ancienne abbaye bénédictine Saint-Pierre de Bourgueil possède l’un des plus beaux escaliers 18e siècle de France. Fondée en 990, elle abrite aujourd’hui un musée des arts et traditions populaires qui retrace l'historique de ce lieu millénaire et présente 1 500 objets (coiffes tourangelles, cartes postales anciennes, outils artisanaux, vaisselle, ornements sacerdotaux…).
Les moines bénédictins ont joué un rôle crucial dans le développement de la vigne. Peu de temps après sa fondation, l’abbé Baudry vante les vins du clos de l’abbaye, dont les ceps s’étendirent progressivement sur les coteaux et les terrasses alentour.
Un peu plus loin, au cœur de Bourgueil, l’église paroissiale est quant à elle citée dès le 11e siècle dans une bulle du pape Sylvestre II. De cette période subsiste l'ancien pignon en damier, visible sur la façade occidentale, dont la porte a été retouchée à la fin du 12e. Le chœur, lui, a été reconstruit dans le style Plantagenêt.
Au nord, son clocher est flanqué d’une tourelle d’escalier. Mais ce sont surtout ses expressives gargouilles qui attirent notre attention ! Elles font ici office de gouttières.
Le plein de produits locaux et de vins de Bourgueil
C’est samedi matin : l’occasion de faire quelques emplettes – fromages de chèvre de Touraine, miel… – sous les Halles, reconstruites en 1829. L’origine du marché remonterait au 15e siècle. Le mardi, c’est l’un des plus grands marchés de Touraine.
Les gourmands pourront tester la Galette bourgueilloise® à la pâtisserie voisine : une brioche garnie d’une crème légère à la vanille.
Maison des vins de Bourgueil : une sélection au prix producteur
À deux pas de l’église, nous poursuivons notre quête gastronomique à la Maison des vins de Bourgueil, installée dans une belle bâtisse en tuffeau du 15e siècle qui appartenait aux grands-parents de Jean Carmet. Les parents du comédien, né à Tours, tenaient une bourrellerie à côté. Ce métier consistait à travailler la bourre (les poils) et le cuir pour fabriquer ou réparer les licols, les harnais… des attelages.
Bien pratique pour les visiteurs qui n’ont pas le temps de visiter des domaines, elle regroupe quelque 180 cuvées de 90 producteurs (sur 120) vendues au prix du domaine.
Le bourgueil : une AOC, deux terroirs
On nous explique dans la boutique qu’il y a d’un côté les bourgueils légers, issus des graviers proches de la Loire, que l’on peut consommer jeunes ; de l’autre les bourgueils charpentés et plus tanniques issus des sols riches en tuffeau, qui vieillissent bien.
Plus rares, les rosés ne représentent que 4 % de la production. Ils sont secs, aromatiques et fruités, parfois relevés par une note d’agrumes ou de poivre.
Tous ces vins sont issus du cépage cabernet franc, surnommé localement « breton », parfois complété par du cabernet sauvignon. L’AOC s’étend sur sept communes : Bourgueil, Benais, Restigné, Ingrandes-de-Touraine, Saint-Patrice, La Chapelle-sur-Loire et Chouzé-sur-Loire.
Une dizaine de bouteilles sont proposées à la dégustation dans une arrière-salle à la déco chaleureuse, qui rend hommage à Jean Carmet. Si nous voulons pédaler droit, mieux vaut limiter notre dégustation ! Nous quittons le bourg et gagnons les vignes en une quinzaine de minutes.
Cap vers Saint-Nicolas-de-Bourgueil dans une mer de vignes !
Tel un amer, le clocher de l’église (19e) de Saint-Nicolas-de-Bourgueil surgit d’une mer de vignes, fraîchement vendangées, dont les feuilles s’empourprent en cette période automnale.
On grappillerait bien sur les ceps quelques grains oubliés…
Saint-nicolas-de-bourgueil est la seule AOC du Val de Loire produite sur une seule et même commune. C’est le village natal du grand amour déçu du poète Ronsard, Marie Dupin, pour qui il composera les célèbres vers : "Mignonne allons voir si la rose… ". Morte prématurément, elle vécut au manoir du Port Guyet, qui figure parmi les belles demeures de la commune.
Un panneau indique le cercle de boule de fort reste ici bien ancrée. Un petit détour par la bouteille-fontaine de la place de l’Église avant de repartir !
Une pléiade de hameaux entre Loire et coteau
Le village de Saint-Nicolas-de-Bourgueil a été créé en 1830 et consistait à l’origine en une mosaïque de 63 hameaux disséminés entre les vignes, qui couvrent aujourd’hui 28 % de sa superficie. On en compte 128 actuellement, avec les lieux-dits.
Si les sols de sables et de graviers sont dominants sur l’appellation, ils s’enrichissent de gravier limoneux près du fleuve et de tuffeau sur le coteau, ce qui donne des vins aux profils différents. Qu’ils soient rouges ou rosés (3 % de la production), le cabernet franc est quasiment exclusif dans la composition des vins de Saint-Nicolas-de-Bourgueil, produits par une centaine de vignerons.
À une centaine de mètres d’altitude, le coteau couvert de forêts protège les parcelles des vents du nord. Au niveau de Chevrette, ne ratez pas la bifurcation à gauche !
Le paysage devient plus vallonné et nous croisons de temps à autre une loge de vigne, une maisonnette en tuffeau destinée autrefois à abriter le vigneron et son cheval, lors de ses pauses repas ou en cas d'intempérie.
Sur les bas-côtés s’épanouissent des rosés des prés et les châtaignes jonchent certaines parties de la route : gare à la crevaison !
À Benais : tuffeau et troglos
À quelques kilomètres, nous rejoignons le charmant village de Benais. Ici, les caves troglodytiques sont nombreuses. Il s’agit d’anciennes carrières de tuffeau reconverties pour la conservation du vin.
Certaines sont devenues des habitations (caves demeurantes), des champignonnières… Sur le coteau de Benais, un sentier d’interprétation vous invite à en savoir plus sur cette singulière "civilisation souterraine". Nous passons devant une jolie loge de vigne, puis, dans le bourg de Benais, devant l’imposante porte fortifiée du château (16e), toutes deux en tuffeau.
Chez Vincent, cuisinier de campagne
Le tuffeau est aussi au rendez-vous de notre prochaine étape, à Ingrandes. Voilà presque 2h que nous pédalons. Un bon repas s’impose et c’est chez Vincent, cuisinier de campagne, que nous nous attablons avec un plaisir non dissimulé, après avoir jeté un œil sur l’élevage de volailles de races anciennes, pour le moins atypique. Une géline de Touraine monumentale trône devant l’ancien chai.
Des poules et des vignes
Depuis 2017, Gabriel Simon, fils du couple de restaurateurs, laisse ses poules, pintades… s’épanouir dans les vignes voisines. On retrouve ses volailles fraîches, plats cuisinés, foies gras et terrines en bocaux dans l’ancien chai, près du restaurant, aux côtés d’autres produits locaux : miel, vin, pommes, légumes des maraîchers voisins…
En été, on peut commander un repas pique-nique à emporter.
Un repas locavore...
Affamés, nous nous installons dans la chaleureuse salle de restaurant de la belle demeure de vigneron où ses parents, Vincent et Olivia, d’origine belge, officient depuis 2013. Il n’y a que seize couverts, il est donc vivement conseillé de réserver.
Distinguée au Michelin comme dans le Gault et Millau, ainsi que par la Marque "Valeurs Parc naturel régional", la cuisine de Vincent fait la part belle aux produits locaux et aux légumes de son potager, qu’il sublime avec talent et simplicité. Des plats généreux qui lui ont valu la reconnaissance de Julie Andrieu et du critique gastronomique Périco Légasse.
Après un apéritif maison au vin de noix et de savoureuses mises en bouche, j’opte en entrée pour le feuilleté aux cèpes et gésiers, succulent, puis pour une poulette au vinaigre de bonnezeaux (un vin liquoreux angevin), poireaux, marrons et noix grillés. Parmi les desserts d’Olivia, c’est le dilemme entre crumble aux pommes et moelleux au chocolat…
Restigné : lavoir, manoirs et châteaux
Rassasiés, nous reprenons nos vélos direction Restigné, où est produite près de la moitié de l’appellation bourgueil.
Depuis la route, nous admirons de belles demeures : le château de Louy, puis le château de la Philberdière, caché derrière son imposant porche, et doté d’un beau pigeonnier. Amusez-vous à compter ses trous de boulin, symbole de la richesse d’un domaine : chacun comptait pour 50 ares de terre. Remarquez sa tour polygonale du 15e siècle, coiffée au 19e d'une sorte de dôme.
Nous marquons une pause près du magnifique lavoir voisin où s’épanouissent plusieurs espèces de fougères.
Une église classée Monument Historique
Sur la place du village se trouvent la mairie, l'ancienne prévôté, le kiosque à musique, une maison du 16e siècle, l'église Saint-Martin et son caquetoire.
En 862, un acte du roi Charles le Chauve définit « Restiniacus » et ses chapelles comme propriété de la communauté Saint Martin de Tours. La nef est la partie la plus ancienne (11e). Le chœur est couvert de voûtes angevines et le clocher, du 13e siècle, a été surmonté d'un beffroi couronné d'une corniche sculptée de têtes de personnages. Sur le tympan, quatre pierres sculptées représentent un lion, deux animaux fantastiques, et Daniel entre deux lions, un épisode de la Bible.
Notre échappée cycliste entre vignes et patrimoine touche à sa fin et nous regagnons Bourgueil en un quart d’heure. Il ne nous reste plus qu’à retourner à la Maison des vins pour faire le plein de bouteilles qui accompagneront nos petits plats automnaux…