Jeu traditionnel du Val de Loire et en particulier de l’Anjou, la boule de fort est le seul sport qui se pratique en pantoufles ! Il est unique en France et classé au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
Les règles évoquent la pétanque mais les conditions diffèrent totalement : on joue en intérieur et dans le calme, sur un terrain incurvé, avec des boules asymétriques et déséquilibrées. Dans cette configuration, pas facile de placer ses boules au plus près du « maître » (l'équivalent du cochonnet).
L’origine de la boule de fort est assez mystérieuse et les spéculations sont nombreuses. Pour certains, ce jeu aurait été introduit dans la vallée de la Loire par les marchands anglais ou hollandais. Ils se seraient inspirés du boulingrin (en anglais « bowling green », en référence au terrain gazonné), pratiqué dans tout le Commonwealth. Dans certaines régions de Belgique et des Pays-Bas ainsi que dans le nord de la France (vers Tourcoing, Lille…), on pratique la « bourle » qui ressemble aussi à la boule de fort. En définitive, personne ne peut dire avec certitude d’où vient ce sport, mais rien n’empêche de le pratiquer !
Les sociétés de boule de fort sont des lieux conviviaux, où l’on se retrouve tant pour jouer et s’entraîner en vue des challenges que pour discuter. Les frais d’entretien sont couverts par les recettes de la buvette.
Les cercles sont aujourd’hui ouverts à tous, mais ça n’a pas toujours été le cas : jusqu’aux années 1970, les femmes étaient tenues à l’écart des sociétés de boule de fort, et tout nouveau membre n’intégrait le cercle qu’en étant parrainé.
Les règles de la boule de fort
Le but du jeu est simple : placer ses boules le plus près possible du maître qui est l’équivalent du cochonnet à la pétanque. Les parties se gagnent en 12 points, par équipe de 2 ou 3.
L’originalité de la boule de fort tient à ses conditions particulières : le terrain n’est pas plat mais concave, et les boules ne sont ni rondes ni équilibrées. Cerclées de fer, méplates (plus larges que hautes), elles possèdent un côté plus lourd que l’autre : le fort. Leur centre de gravité est donc décalé… Dans ce contexte, inutile d’espérer lancer droit car la boule ne suit jamais une trajectoire rectiligne. D’ailleurs on ne lance pas la boule : on la dépose doucement pour la faire rouler. Au bord du terrain, les joueurs en charentaises ou chaussons se tiennent sur une passerelle.
La boule de fort est un sport calme : en théorie, il est interdit de commenter les coups pour ne pas troubler le joueur. Mais la règle n’est pas toujours respectée…
Les équipements et conditions de jeu ont évolué au fil des siècles. Autrefois, les boules étaient en gaïac, bois dense et très dur. Le terrain de jeu, fait en terre, était souvent entretenu par un concierge, logé sur place et percevant une petite indemnité.
Aujourd’hui, on joue avec des boules en plastique qui pèsent 1,4 kg. Les dimensions du terrain de jeu ont été réduites et la terre battue remplacée presque partout par des revêtements synthétiques (résines, lino…). Les parties se déroulent dans des bâtiments couverts, tout en longueur, qui portent sur leur fronton le nom du cercle ou de la société.
Un jeu emblématique de l'Anjou
Les sociétés de boule de fort sont un mélange entre le club anglais, l’association sportive et le café d’habitués. On s’y retrouve aussi bien pour s’entraîner en vue des challenges que pour jouer aux cartes, boire un coup et voir ses amis.
La pratique de la boule de fort a rarement dépassé les limites de la Touraine et de la Sarthe voisines : la majorité des sociétés se concentrent dans le Baugeois, le Saumurois et autour d’Angers. Sur les 373 sociétés adhérant en 2018 à la Fédération de boule de fort de l'Ouest, 312 sont situées en Maine-et-Loire. On en trouve 19 en Indre-et-Loire, 37 dans la Sarthe, 3 en Loire-Atlantique, une en Mayenne et une dans le Loir-et-Cher.
Les plus anciennes traces de ce jeu en Anjou remontent au XVIIe siècle, mais le règlement connu le plus ancien, celui de la société de Pierre Lize à Angers, date de 1828. L’âge d’or de la boule de fort arrive un peu plus tard, à la fin du XIXe – début du XXe siècle. À cette époque, on dénombrait 1 000 sociétés rien qu’en Anjou, réparties sur 287 communes. Soit une moyenne de presque 4 cercles par localité ! Il y en avait 31 à Mazé, presque autant à Beaufort-en-Vallée et Saint-Mathurin-sur-Loire, et 15 à Corné.
Des cercles fermés qui se sont progressivement ouverts
Les sociétés ont longtemps été des cercles fermés : on ne pouvait y entrer qu’en étant parrainé. Les membres se recrutaient selon les affinités sociales, politiques et religieuses. Jusqu'au début des années 1970, on ne pouvait appartenir à deux sociétés à la fois, et ceux qui amenaient des invités « étrangers » risquaient des amendes.
Les femmes n’étaient pas admises dans les cercles. Pendant longtemps, il était normal de ne pas avoir d’activités mixtes. La boule de fort était donc réservée aux hommes. Les laïcs et anticléricaux craignaient aussi que les femmes ne racontent au curé pendant les confessions ce qu’il se passait dans les sociétés. Enfin, les hommes appréciaient de se retrouver sans qu’une femme ne vienne – selon eux – jouer les trouble-fêtes.
Depuis le milieu des années 1970, les femmes y sont admises. Le développement des challenges a fait évoluer l'esprit des sociétés, qui se tournent davantage vers la compétition sportive. Les compétitions mixtes ont favorisé l’intégration des femmes. Depuis les années 1990, la moyenne d’âge a baissé et ce sport n’est plus réservé aux retraités du village !
Les rites de la boule de fort
Les sociétés sont par essence des lieux de convivialité. Les cotisations et consommations permettent d’entretenir le terrain, voire de payer le concierge s’il y en a encore un.
Dans le cadre d’un challenge, le gagnant paie un coup à boire au perdant, tandis que dans une partie amicale c’est l’inverse. Celui qui oublie de replacer le maître – c’est-à-dire le cochonnet – offre une bouteille ; idem pour celui qui traverse le terrain au lieu de remonter sur la passerelle. Enfin, une équipe qui n’a marqué aucun point au cours d’une partie doit « biser le cul de la Fanny » pour conjurer sa défaite. La Fanny est généralement représentée par l’image d’une femme dénudée au postérieur opulent, que les perdants doivent embrasser de préférence religieusement.
Dans les cercles catholiques, une route se dirigeant vers un petit village est peinte sur un des murs du bâtiment. Ce village est celui de Brion, car « aller à Brion » est synonyme de « biser le cul de Fanny ». Ces expressions ont toutes deux la même origine : un jour d'assemblée à Brion, une commère se serait écriée : « Les perdants, pour les consoler, pourront biser mon cul ! ». Notez qu’à Brion, quand on perd, on dit qu'on va à Jumelles !